Qu’un lecteur français puisse aujourd’hui tenir entre ses mains Les pensées de l’Indien qui s’est éduqué dans les forêts colombiennes n’a rien d’une évidence, tant les forces de l’ordre néocolonial, sous ses formes étatiques, religieuses ou économiques, se sont employées à taire et à proscrire son auteur et à reléguer son œuvre et sa mémoire dans l’insignifiance.
La persistance de sa pensée ne doit pourtant rien au hasard. Elle est le résultat de la résistance opiniâtre des communautés autochtones du centre et du sud de la Colombie qui, dans des circonstances radicalement adverses, ont prolongé et sans cesse réactualisé sa puissance politique. Des luttes pour la récupération des territoires des années 1930 et 1940 à la reconnaissance constitutionnelle de la diversité ethnique du pays au début des années 1990, en passant par l’émergence d’organisations politiques autochtones dans les années 1970, la trajectoire de la mémoire collective de Manuel Quintín Lame épouse celle des luttes autochtones depuis la deuxième moitié du XXe siècle.